Le Tai Chi des Maitres, le Tai Chi des débutants et l’élève.
Bonjour aux élèves, bonjour aux visiteurs.
Je vais m’adresser à vous comme je m’adresse à mes élèves; d’ailleurs ces textes sont écrits surtout pour eux. Plusieurs de ces élèves sont des partenaires d’entrainement depuis plus de quinze ou vingt ans. Tous ces textes abordent des sujets qui sont discutés dans le cadre des cours. La plupart des élèves sont déjà familiers avec les contenus. Alors les textes sont des aide-mémoires auxquels les élèves peuvent se référer à tête reposée en dehors des cours. Il faut dire que nos cours ne sont pas toujours de tout repos. Il n’est pas nécessaire de tout comprendre. Ce sont tous de petits morceaux d’un casse-tête qui à la longue finiront par former une image. La pratique est la table qui va servir de support à toute l’aventure. Le but de ces articles est de stimuler la réflexion, d’enrichir notre pratique, d’explorer notre essence, de se faire du bien, de se bien comprendre. Je prends l’entière responsabilité pour toutes les erreurs de traduction, de compréhension, d’interprétation ou de référencement que l’on pourrait retrouver dans les textes. Je vous prie aussi d’excuser mes trop nombreuses fautes de français. La plupart des entrées sont des sujets de réflexion et non de discussions. L’essentiel demeure la pratique. La compréhension vient avec le temps et la pratique.
Je vais tenter d’indiquer les sources pour certains des textes citées. Garder à l’esprit que pour les textes plus anciens, le mystère, le mythe et la légende sont partout présents. Plus on va loin dans le temps, dans l’histoire, dans la profondeur, plus les lignes deviennent floues, plus cela devient une histoire, une aventure, une épopée, une voie avec tous ses versions, ses variantes et leurs contraires.
Autre difficulté ; deux niveaux de traduction. Souvent, le texte original chinois a été traduit en premier en anglais, puis de l’anglais au français. Certaines traductions nous viennent d’universitaires, certaines nous viennent de poètes, d’autres de guerriers, d’autres encore nous viennent de médecins ou d’enseignants. Souvent, trois traductions d’un même texte peuvent avoir très peu de ressemblances entre eux, surtout pour un débutant. Garder à l’esprit que l’on ne cherche pas une vérité ; on recherche une voie. Ce qui demeure fascinant c’est qu’un même texte puisse inspirer un si large éventail d’individus. Un universitaire, un poète, un guerrier, un médecin, un enseignant, un débutant ; tous sur la même voie.
Le Tai Chi des Maitres, le Tai Chi des débutants et l’élève.
Dans certains milieux, on dit du Maitre qu’il est devenu transparent, clair comme le cristal ; parfaitement centré, parfaitement alignée, parfaitement balancé, parfaitement enraciné. Après de nombreuses années d’un entrainement quotidien assidu, le maitre est devenu confortable dans son corps, comme un petit enfant. Plus aucune tension inutile; ne reste que le calme, le détachement, l’aisance, la souplesse, l’agilité, la puissance, l’émerveillement et surtout l’humilité. On dit que cela peut prendre au bas mot, trente ou quarante ans. Rendu à ce stade on dit que l’esprit mobilise le chi, que le chi mobilise le corps. On dit que mobiliser produit la sensation, que la sensation devient conscience. C’est cette quête de conscience qui est infini, sans limites. C’est elle qui ouvre la voie à tout le reste.
À propos de la quête de conscience dans le contexte de la pratique du Tai Chi, on retrouve ceci dans une des traductions des Quarante Chapitres de la Famille Yang.
Chapitre deux : La pratique des Huit Portes et des Cinq Déplacements
Les huit trigrammes et les cinq phases font partie du patrimoine naturel de l’humain. En premier, il faut comprendre le sens des mots « mouvement conscient ». Ayant saisi l’idée du mouvement conscient, nous pouvons commencer à interpréter l’énergie. Sachant interpréter l’énergie nous pouvons aspirer à l’illumination spirituelle. Mais, au début de la pratique, nous devons acquérir une compréhension de ce qu’est le « mouvement conscient ». Malgré que cela fasse partie de notre patrimoine naturel, cela demeure très difficile à saisir.
Extrait du livre : Lost T’ai-Chi Classics from the Late Ching Dynasty de l’auteur Douglas Wile.
Éditeur : State University of New York Press. La traduction de l’anglais au français est de moi.
Les Huit Portes et des Cinq Déplacements correspondent aux 13 énergies qui sont les éléments de base du Tai Chi Ch’uan. Parer (peng), rouler vers l’arrière (Lu), presser (Ji), pousser (An) sont les quatre côtés. Tirer (Cai), fendre (Lie), coup de coude (Zhou), coup d’épaule (Kao) sont les quatre coins. Ils représentent les huit techniques pour le haut du corps (mains, poignets, coudes, épaules, dos). Avancer, reculer, regarder à gauche, porter attention à droite et garder le centre correspondent aux cinq déplacements (pied, cheville, genoux, hanche, taille). Ensemble ils forment les treize énergies. Ils sont abordés dans le chapitre premier. Remarquer que les huit portes et les cinq déplacements sont associés à la pratique ; que les huit trigrammes et les cinq phases sont associés au I Ching et au patrimoine naturel de l’humain. C’est une même réalité exprimée dans des contextes, dans des aspects différents. D’un côté la pratique, de l’autre la philosophie. Il serait bien, pour notre culture personnelle, de s’intéresser à l’idée du patrimoine naturel de l’humain, de s’intéresser à l’idée de la nature originelle.
L’Enseignant
Si nous nous inspirons du texte « La pratique des Huit Portes et des Cinq Déplacements », dès le début, nous devons placer l’idée du « mouvement conscient » au cœur de notre démarche. À ce stade ce ne sont que deux mots, deux mots que l’on va mettre à mijoter tranquillement à l’arrière-plan pendant que nous apprenons la forme. Éviter de se casser la tête. Le cheminement vers le mouvement conscient est un processus long, c’est un premier pas vers l’élixir de longue vie. Vaut mieux ne pas être pressé.
Retenir que le mot « mouvement » précède le mot « conscient ». C’est le mouvement juste qui est à la source de la sensation, de cette sensation qui elle engendre la conscience. Comme pour tous les arts taoïstes, le but ultime de la pratique du Tai Chi Ch’uan c’est d’accéder à la conscience, a cette conscience qui rend possible le vivre en harmonie avec le Tao.
Au commencement ma préoccupation première est d’enseigner les postures et les transitions qui composent la forme. Je vais aussi énoncer les principes qui régissent notre style. J’encourage les élèves à chercher les sensations plutôt que de questionner les mots.
(Les dix principes de Yang Cheng Fu sont quasiment universels, mais chaque style peut en avoir d’autres en plus. On peut consulter sur ce site dans « Liens et autres ressources écrites », Les 10 Principes de Yang Cheng Fu.)
Si l’élève est relativement jeune, tout en enseignant la forme, le but va être de l’amener à maitriser son énergie et son enthousiasme souvent un peu trop débordant. Les aspects centré, aligné, balancé, enraciné ne seront pas trop difficiles vu que le corps est encore très malléable. Les mauvais plis, s’il en a, ne seront pas encore installés dans le corps. Le plus difficile va être la retenue, va être de garder le centre tout en expriment correctement et complètement les mouvements. Allonger le bras sans suivre la main, déployer la jambe sans suivre le pied. À ce stade, les élèves vont souvent entendre, « on reste où on est… on reste où on est… on va nulle part ».
Au-delà de la trentaine, il peut y avoir un certain travail d’assouplissement à faire pour retrouver dans nos mouvements l’aisance et l’agilité de notre jeunesse. Si l’élève est plus âgé, cinquante, soixante ou soixante-dix ans, le but va être de l’aider à reconquérir son territoire. On aimerait redevenir à l’aise avec des gestes larges et généreux. On voudrait défaire les tensions inutiles dans le corps qui, souvent, avec le temps, deviennent chroniques. On vise délier les articulations, à retrouver la souplesse et l’élasticité des muscles, des tendons et des ligaments, à mieux coordonner nos gestes, à instaurer une plus grande harmonie entre l’intérieur et l’extérieur. Cela requiert un effort systématique sur une longue période. L’idée de faire un voyage à rebours. Sur dix ans, retourner dix ans en arrière. Ici l’élève va entendre, « on allonge… on allonge…. on va chercher ».
(Définition de chronique : Recueil de faits historiques consignés dans l’ordre chronologique. Dans le contexte qui nous concerne, l’idée de « Recueil de faits historiques consignés en ordre chronologique dans le corps » peut être un sujet de réflexion intéressant).
Les intermédiaires, les praticiens
Après avoir appris la forme et les principes de base arrive l’étape de « pratiquer la forme ». Le but est de devenir parfaitement familier avec la forme, avec les postures, avec les gestes, avec le mouvement, avec la tranquillité. Explorer l’idée que le geste génère le mouvement. On voudrait être parfaitement à l’aise dans chaque posture, chaque transition. Il est important que nous portions une attention particulière à rendre chaque posture conforme aux exigences du style que l’on pratique. On entend souvent l’expression perfectionner les mouvements. Personnellement, j’aime mieux l’idée d’approfondir.
Le premier maitre avec qui j’ai étudié disait qu’il fallait relâcher les muscles, qu’il fallait relâcher les tendons et les ligaments, qu’il fallait relâcher la moelle des os. La profondeur que nous recherchons se situe à ce niveau. Il est relativement facile d’explorer ce concept en portant attention aux os dans les avant-bras en pratiquant la forme, surtout la première partie. Le mot-clé ici est « explorer », comme dans explorer un territoire. Il y a ici l’idée de l’inconnu qui devient connaissance ; une connaissance qui prend la forme d’une sensation.
En ouverture du texte « Expositions et Aperçus sur la Pratique des Treize Postures » de Wu Yu-Hsiang il est dit;
« Faire que le chi (souffle) descend calmement au tan-tien,
alors il se concentrera et se condensera dans les os. »
Extrait du livre : The Essence of T’ai Chi Ch’uan; The Literary Tradition.
Auteurs : Lo/Inn/Amacker/Foe. Éditeur : Blue Snake Books
Dans un texte de Li Yi-Yu, Les Cinq Mots Secret, sous le mot «Agilité» on dit,
« Quand la puissance de l’adversaire effleure ma peau,
mon Yi (esprit) est déjà pleinement dans ses os. »
Extrait du livre : Les secrets des Styles Li et Wu de taïchi-chuan.
Auteur : Dr. Yang, Jwing-Ming. Éditeur : Budo Éditions
Après une longue période de pratique, la forme nous est devenue intimement familière. La prochaine étape est de tout faire, autant au niveau psychique que physique, avec le minimum d’effort et le plus naturellement possible. On dit souvent relaxer. J’aime mieux l’idée de relâcher les tensions sans perdre un certain niveau de tonus, une certaine présence, surtout dans les mains. C’est comme les jeux gonflables pour les enfants. Très peu de pression, beaucoup de résilience. Dans la tradition martiale on fait référence à l’énergie peng ou le peng jin. Tout cela rejoint la notion que « le Chi est plein ».
Après plusieurs années de pratique correcte, les sensations d’être bien alignées, bien centrées, bien balancées, et bien enracinées deviennent de plus en plus claires quoique ce n’est jamais aussi clair que l’on aimerait. On est à l’aise dans notre corps. Même si l’aspect martial du Tai Chi nous intéresse peu, la sensation d’une certaine puissance devient de plus en plus présente. Cette sensation vient du fait que le corps est devenu plus souple, plus efficace, plus naturel. À ce propos, je dis souvent aux élèves, « cela se reflète dans de petites choses ; à l’épicerie, les tablettes du haut semblent moins hautes, les tablettes du bas semblent moins basses ; on peut attacher nos souliers sans avoir besoin de s’assoir, notre début de saison de golf, de ski ou de patin est plus agréable au sens de moins douloureuse; on est moins courbaturé.
À ce stade on suit le conseil des textes classiques où il est dit, « en premier chercher l’expansion, plus tard chercher la contraction » *
Tai Chi Touchstones, de l’auteur Dougls Wile, page 111, chapitre qui présent les commentaires de Yang Lu Chan sur les textes de Wang Tsung-Yu
L’élevé
Nous avons parlé du Maitre, nous avons exploré un peu la démarche et la place de l’enseignant. Reste l’élève.
La relation entre l’enseignant et l’élève a été longtemps pour moi une grande source de préoccupation. J’ai trouvé une certaine réponse dans un article dans une revue d’arts martiaux. La personne qui répondait aux questions résumait ainsi cette relation : « ma responsabilité d’enseignant c’est d’enseigner, la responsabilité de l’élève c’est d’apprendre ». Je réfléchis encore beaucoup à cela, je m’inquiet moins et j’essaie d’enseigner à l’élève ce qu’il a besoin d’apprendre pour progresser, pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé.
L’élève arrive au Tai Chi avec une motivation. Ça peut être pour des raisons de santé, de maladie ou pour garder la forme, pour faire de l’exercice. Ça peut être pour gérer le stress, ça peut être motivé par une quête spirituelle ou un intérêt pour l’autodéfense. Ça peut être la recherche d’un loisir simple qui unit l’utile, l’agréable et l’esthétique ; un moment agréable à passer avec un groupe. Pour l’élève il est important qu’il soit conscient de ce qu’il cherche. Mais peu importe la motivation première, si on veut progresser, s’améliorer, devenir une meilleure personne, il faut voir que le Tai Chi est un système d’entrainement et comprendre comment ce système fonctionne.
À suivre
Salut à vous deux!
Après avoir lu ce texte que je trouve très inspiré et inspirant, j’ai un peu été surpris de constater qu’en regardant autour de moi, c’était comme si j’avais des lunettes teintées de rouge…. Je ne sais pas si d’autres personnes vous ont fait ce commentaire mais j’ai compris par la suite que c’est un phénomène perceptuel que j’avais oublié, car le rouge est la couleur complémentaire du vert!!!
Une référence que j’ai trouvé par la suite: http://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_02/a_02_p/a_02_p_vis/a_02_p_vis.html
Au plaisir!